Famille d’accueil

Book Cover: Famille d'accueil
Part of the French Translations series:
Editions:Digital (French): $ 6.99 USD
ISBN: 978-1-63476-398-1
Pages: 124,238
Print (French): $ 17.99 USD
ISBN: 978-1-63477-110-8
Pages: 370

Grandir dans des familles d’accueil a privé Kerry Grey de confiance en soi et lui a laissé peu d’espoir en ce qui concerne son avenir. Ayant dû abandonner ses études à l’université, Kerry occupe un emploi à temps partiel dans une pépinière. Son amitié avec sa patronne et l’attention qu’il porte aux plantes constituent les seuls moments importants de sa vie. Il couche avec l’homme qui l’humiliait lorsqu’ils étaient ensemble à l’école, et le jour où son petit ami l’abandonne à une fête, Kerry erre sur la plage pour noyer son chagrin dans une bouteille de scotch.

Malcolm Holmes et Charlie Stone sont ensemble depuis quinze ans. Malgré la volonté de Charlie d’accepter tacitement la domination de Malcolm dans leur lit, quelque chose manque à leur couple. Tôt un matin, ils secourent un Kerry évanoui, manquant d’être emporté par la marée, et Charlie reconnaît immédiatement une âme sœur en ce jeune homme perdu.

Lorsque le colocataire de Kerry le jette à la rue, les deux hommes l’invitent dans leur maison. Alors que Charlie et Kerry tissent des liens autour de leur passion pour le jardinage, Malcolm voit en Kerry celui qu’ils cherchaient pour compléter leur couple. Tout ce qu’ils ont à faire c’est de se dévoiler au jeune homme et d’espérer que les penchants de Kerry pour la soumission vont s’adapter à leur dynamique.

Seulement, quelqu’un cherche la moindre occasion de nuire à Kerry. Et tandis qu’il cherche le coupable, il s’inquiète pour la sécurité de ses nouveaux amis. Et si Malcolm et Charlie ne peuvent pas l’aider, leur recherche assidue du parfait troisième pourrait ne pas se terminer par la fin heureuse qu’ils avaient imaginé.

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Publisher: Dreamspinner Press
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I

 

 

FINALEMENT GÂCHÉ sa fête. Ce n’était pas comme s’il ne voulait pas de moi ici. Quoique. Bon, peut-être qu’il ne voulait pas de moi, à cet endroit. Cette nuit-là. À cet instant précis. Mais il m’aurait voulu après. À l’hôtel. Ou chez moi. Ou contre n’importe quel putain de mur dans une ruelle.

— Putain de conneries, Kerry. Tu es un crétin. Un sacré abruti.

C’était ce que je me reprochais à voix basse. Parce que c’était vrai. J’étais un idiot. Comment pouvais-je être assez stupide pour venir me promener sur la plage à cette heure, me demandais-je ? Seul. Une cible idéale pour n’importe quel groupe de punks désireux de me casser la gueule simplement pour s’amuser.

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Que j’aie pu imaginer que l’enfoiré de la fête admettrait quoi que ce soit à notre sujet devant tout le monde, y compris l’équipe de football au grand complet, était complètement débile. Quelle stupide voix intérieure avait pu me convaincre que le simple fait qu’il aime mettre sa queue dans mon cul pouvait signifier qu’il aimait autre chose chez moi ? Deux ans de harcèlement au lycée auraient dû suffire pour faire entrer dans mon stupide crâne épais qu’un fondu de biologie était bien en dessous de lui. Et que je sois réellement sous lui quand il se déchargeait dans un préservatif n’avait rien à voir là-dedans, et moins encore avec moi.

J’étais arrivé au ponton, mais même ici, les couples qui s’étaient échappés de la fête étaient tellement occupés à se bécoter au clair de lune que ça m’agaçait. Virant à gauche de la longue passerelle en bois qui serpentait en une pente éclairée, je me dirigeai vers l’obscurité et l’odeur de la mer. Enveloppé d’une ombre bienveillante et du doux murmure des vagues, je pouvais faire semblant que c’était exactement là que j’avais voulu me rendre depuis le début. Et finalement, les sons de la musique et des rires s’estompèrent, laissant le perpétuel mouvement apaisant de l’océan sur le sable fin prendre leurs places.

Le ponton montait en une série de marches et de rampes qui suivaient le bord de la falaise au-dessus de ma tête tandis que je longeais sa base le long de l’étroite bande de sable entre l’océan et la roche. Je savais qu’il faisait partie du réseau de sentiers du parc, attenant au club de golf, qui rejoignait ensuite les rues calmes du quartier chic le long de la falaise.

En bas, cependant, il y avait juste le sable, le ressac et la douce obscurité.

— Stupide gamin, murmurais-je au sable sous mes pieds.

Je ne savais pas si je parlais de moi aujourd’hui ou de celui que j’avais été trois ans plus tôt. Je n’étais plus vraiment un gamin, mais ce soir, j’avais l’impression d’en être un. Je soulevai la petite bouteille de Jack Daniel, la portai à mes lèvres et basculai la tête en arrière pour récupérer les dernières gouttes. Le sable se déplaça et je tombai presque sur les fesses dans le mouvement. La bouteille était vide. Et alors ? L’abandonnant, je repêchai la seconde, celle que j’avais rangée dans la poche de ma veste de costume. Chacune la nôtre aurait suffi à nous étourdir légèrement. Mais comme il ne voulait visiblement pas la boire avec moi, maintenant elle me permettrait d’oublier qu’il n’avait même pas pris la peine de me chasser de sa fête. Il s’était contenté de m’ignorer.

— Merde.

Les chaussures de ville sur le sable de la plage ne permettaient pas d’avoir le pied ferme. Le plastique de protection cachetant la bouteille de scotch me détestait également, se glissant douloureusement sous mes ongles, alors que je ne pouvais faire autrement pour l’enlever. Andrew Shelton-Bishop était le roi du bal de promo, le footballeur gâté, riche et si magnifique qu’il était impossible de le regarder en face. Et, il m’avait choisi moi pour être sa première expérience de baise homosexuelle.

Quatre ans plus tôt, Andrew, un quelconque troisième du pas-vraiment-illustre quartier de mon enfance était soudain revenu de nulle part, pour réapparaître dans mon école. Il avait postulé, et obtenu, une place en première ligne dans l’équipe de football de mon lycée. Nous avions perdu le contact quand nous étions enfants après mon dernier déménagement pour une nouvelle famille d’accueil. J’ignorais avant de le revoir au lycée que sa mère avait fait un riche remariage. Merci au beau-père d’avoir doté l’école de tenues de football et d’avoir pistonné Andrew, il s’était ainsi envolé directement au sommet de la hiérarchie sociale. Par un bizarre et cruel coup du sort, il jeta son dévolu sur moi et je devins son bouc émissaire. J’avais passé deux ans à esquiver ses attentions, ses railleries et les coups de coudes ou de poings de ses amis, la plupart du temps sans succès. Puis, juste au moment où je pensais que je pouvais m’échapper en allant me cacher dans un laboratoire de biologie, ma terminale était partie en cacahuète le jour de mes dix-huit ans. Pour la première fois de ma vie, j’avais atterri dans une famille d’accueil décente, et tout à coup j’étais trop vieux pour y rester.

Vraiment, j’aurais dû le savoir, au moment où Andrew était entré en scène dans cette histoire, j’étais condamné. C’était le couronnement parfait de mon parcours misérable au lycée.

Ensuite, avec un timing parfait, juste au moment où je laissais derrière moi le lycée et parvenais à reprendre ma vie en main, à me reconstruire, il s’était montré de nouveau. Il avait obtenu une bourse pour l’université où j’allais et était apparu un jour à la bibliothèque à la faveur d’une visite guidée du campus. Il avait fait valoir l’amitié de notre enfance, depuis longtemps révolue, m’assurant que toutes les conneries du lycée appartenaient au passé, de l’histoire ancienne et que nous devions rester soudés. Parce que nous nous connaissions. Andrew avait été repéré par les sélectionneurs dès qu’il avait eu l’âge requis et était maintenant à l’autre bout du pays, loin de tout ce qu’il connaissait. Il avait peur. Du moins, ce fut ce qu’il me dit.

Et j’avais été assez stupide pour le croire. Cette nuit-là, il m’avait bêtement baisé et chaque fois par la suite, quand il m’appelait en me disant que j’étais le seul avec lequel il pouvait vraiment se retrouver, je le laissais me prendre. Non, mais quel con. Ma préoccupation pour le sportif du lycée avait fait de ma vie scolaire un enfer et conduit mes notes dans une chute libre, me privant de mon avenir.

Et ce soir, il m’avait observé depuis l’autre côté de la piste de danse, m’avait souri d’un air suffisant et s’était éloigné avec Jenny Machin-Schlaz… Schlazinhoff quelque chose. La putain de reine du bal de merde. Il n’avait abandonné aucun des privilèges typiquement américains derrière lui. Pas même sa jolie, fausse copine blonde qui m’avait jeté un effrayant sourire triomphant par-dessus l’épaule d’Andrew tandis qu’il l’entraînait. Le lycée lui avait organisé une fête pour sa victoire, et elle était là, sa couverture, m’adressant un sourire prétentieux, le regard méchant et rancunier. Rien n’avait changé.

Sournoisement aidé par la semelle lisse de mes chaussures de danse sur le sable, je me retrouvai brutalement assis sur le sable mou. La bouteille me glissa des doigts – s’envola en fait, puisque la scène ne s’était pas vraiment déroulée avec beaucoup de grâce, et que mes bras moulinèrent juste avant que je m’écrase par terre. Je regardai la bouteille disparaître dans le ciel nocturne. Un instant plus tard, quelque part sur ma droite, un tintement de verre brisé me parvint. C’en était fini de l’oubli. J’étais coincé, à mi-chemin de nulle part. Encore une fois. Je me laissais tomber sur le dos, vaincu.

— Putain.

L’odeur nauséabonde des algues humide imbibait le pantalon de mon costume. C’était probablement la punition adéquate, d’avoir le cul trempé. Étant donné tous mes efforts pour me le faire défoncer. Étant donné la bêtise d’avoir cru, puisque ça arrivait de façon régulière, que c’était parce qu’il s’agissait de moi – qu’il s’agissait d’une véritable relation. Je méritais bien de me faire tremper par les algues.

— Ma vie est pourrie ! criai-je vers le ciel dans l’obscurité après la bouteille.

Mon braillement retomba autour de moi comme des éclats étincelants. Je couvris mon visage d’un bras, mais cela n’aida pas. Les lacérations imaginaires étaient encore sanglantes, même si j’étais le seul à savoir que je saignais, seul dans le noir, tandis que je sombrais dans un sommeil comateux.

 

 

PUTAIN DE merde, il faisait vachement froid. Matthieu était de nouveau entré dans ma chambre. Il avait dû le faire, le salaud. Il aimait jouir et ouvrir toutes les putains de fenêtres pour ‘aérer la pièce’. Il avait même dû ouvrir celle de droite au-dessus de mon lit s’il pensait que j’avais la gueule de bois ou des douleurs provoquées par la visite nocturne d’Andrew. Il avait dû pleuvoir toute la nuit cette fois, parce que j’étais trempé.

— Le pire. Putain. De colocataire. De ma vie. Ce putain de crâneur diplômé a foutrement intérêt à m’acheter un putain de nouveau matelas maintenant.

— Je ne pense pas avoir un jour entendu quelqu’un jurer autant.

— Tu crois qu’on devrait le réveiller ?

— C’est quoi ce bordel ?

Je me redressai brusquement. Le sable griffa mes paumes. La lumière transperça mes yeux et je me reculai contre le mur froid. Sauf qu’il n’y avait rien, alors je basculais de nouveau sur le dos. Le froid s’infiltra autour de mes épaules pour m’avaler.

— Fais attention.

Une main se tendit vers moi, pénétrant dans ma vision étrécie d’un monde trop lumineux.

— Tu vas te faire mal.

— Je vais foutrement bien, non ! Qui vous êtes, d’abord ?

J’ouvris finalement les paupières et regardai autour.

— Où suis-je bordel ?

Deux hommes flous en short, baskets et de larges zones de peau découverte se tenaient au-dessus de moi. Ils se tenaient tous les deux suffisamment devant l’atroce bleu du ciel pour paraître balaises. Leurs chemises pendaient hors des ceintures de leurs shorts. Tous les deux tendaient leurs grandes mains bronzées devant mon champ visuel myope pour me stabiliser.

— Ce sont les tiennes ? questionna l’un d’eux en secouant un truc noir et flou.

— Donne-moi mes putains de lunettes.

Du blanc fendit les deux visages flous.

— Tu as une paire spéciale juste pour les putains ?

L’un des hommes inclina légèrement la tête.

— C’est le genre pervers, hein ?

— Charlie.

L’autre homme jeta un coup d’œil dans la direction de son compagnon. Sa voix contenait un léger avertissement, mais non dénué d’humour. Je n’étais pas certain que l’amusement ne soit pas à mes dépens.

— Donne-moi mes put…

Je poussai un soupir.

— Puis-je avoir mes lunettes, s’il vous plaît ?

Je levai la main, m’attendant à obtenir une gifle d’une part et un rire dans la foulée.

Je savais comment les choses allaient se dérouler. Dès qu’ils auraient réalisé que je ne pouvais foutrement rien voir sans mes lunettes, ils allaient les garder hors de portée pour savoir jusqu’où j’étais prêt à aller pour les récupérer. C’était la tactique habituelle, et mon immense expérience à toujours être du mauvais côté m’avait rappelé que le mieux était de rester simplement assis à ma place et d’être poli. C’était le moyen le plus rapide pour les lasser et les dissuader de faire durer le tourment. Finalement, ils jetteraient les verres quelque part et me laisseraient seul.

Au lieu de cela, une main chaude et forte se saisit de la mienne, et une secousse plus vive m’encouragea à me remettre debout avant que j’aie pu me délivrer. Dans le mouvement, mon pied glissa de nouveau et j’atterris, tête la première, contre une large poitrine en sueur, légèrement poilue. Les lunettes ne me furent pas jetées dans les mains. Elles furent délicatement posées sur mon nez, et une fois que j’eus cligné des yeux, le monde redevint net et je me trouvais confronté à deux hommes magnifiques, probablement plus vieux que moi de dix ans, les bras croisés, le visage un peu sévère, tandis qu’ils m’étudiaient de leur côté.

— Tu as manqué le bus pour l’hôtel, n’est-ce pas ? demanda celui qui ne se prénommait pas Charles.

Je fronçai les yeux dans sa direction.

— La fête de la nuit dernière, gamin, dit-il en indiquant d’un geste le pavillon du terrain de golf de la plage. Tu as oublié de rentrer à la maison ? Parce que je dois avouer que dormir sur la plage, ce n’est pas ce qu’on peut appeler un plan génial. Déjà, ça a bousillé ton costume.

Il redressa doucement un des revers et retira la fleur fanée que j’avais volée sur un parterre pour la mettre dans ma pochette. Il l’envoya d’une pichenette dans les vagues.

Je baissai les yeux sur moi et sur les dix centimètres d’eau qui clapotaient autour de mes pieds.

— La marée monte, poursuivit-il. Je veux dire sérieusement. Nous avons surpris un couple qui continuait à se peloter sur le ponton tôt dans la matinée, mais de là à attendre d’être rincé par la mer ? C’était juste une soirée. Même si ta copine t’a abandonné sur la piste de danse, ça ne peut pas être si terrible.

— Comment diable pourriez-vous le savoir ? murmurai-je.

Ils échangèrent un regard avant de revenir vers moi, pendant que je palpais mes poches à la recherche de mes clés et de mon téléphone.

— Tu vas bien, gamin ?

— Je vais bien, murmurai-je en m’inquiétant un peu plus quand je constatai que mes poches étaient vides. Désolé, de m’être endormi sur votre précieuse plage. Salut.

Je pivotai pour retourner d’où j’étais venu la veille, dans l’espoir de retrouver mes affaires quelque part dans le sable, mais le passage était impraticable. La marée avait dévoré la plage jusqu’au pied de la falaise qui surplombait la mer à quinze mètres de là. Elle avait également grignoté cinq centimètres de plus sur mon pantalon depuis que je me tenais là. En raison de ma précédente position, mon dos était imbibé d’eau salée et de sable, et mes pieds n’étaient guère plus que des glaçons à l’intérieur de mes chaussures.

— Tu vas devoir passer par le jardin, m’informa le non-Charles. Tu ne peux plus retourner au club par la plage désormais, et dans un quart d’heure, cette zone sera sous un mètre quatre-vingt d’eau.

Il se tourna pour patauger dans l’eau qui lui montait jusqu’aux chevilles vers une série de marches menant à travers une faille découpée dans la falaise.

— Tu viens ? Parce que tu pourrais rester là toute la journée, mais…

Il inclina la tête sur le côté.

— Je ne parierais pas sur toi. Tu risques d’être sous la ligne de flottaison.

Il désigna une trace sur la falaise.

— Je ne suis pas petit, protestais-je.

Ils échangèrent un sourire, mais l’évidence était là. Un mètre quatre-vingt d’eau, c’était environ vingt centimètres de trop pour que je puisse encore tenir debout et être toujours capable de respirer. Envisager de nager en costume était au-delà de la plus élémentaire stupidité, donc je les suivis dans l’escalier.

Leur pelouse était presque deux mètres au-dessus de la trace laissée par la marée haute, et il s’agissait en effet d’un jardin et pas seulement d’une cour avec des fleurs. Ils me conduisirent sur une allée en pierre, bordée de chaque côté par des arbustes à feuillage persistant bien entretenus sur lesquels on pouvait voir les prémices du printemps. Trois mètres plus loin, le sentier s’ouvrait sur une vaste pelouse. L’herbe abandonnait lentement sa couleur jaune hivernale pour en prendre de nouvelles, de lumineuses tiges vertes pointant à travers le chaume. Des protections et de la toile de jute couvraient des plantes apparemment un peu trop fragiles pour le climat hivernal local, mais à leurs pieds, des jonquilles, des jacinthes et des tulipes procuraient une débauche de couleurs contrastant avec ces restes un peu ternes du début de printemps.

— Ouah !

Je n’avais pas pu me retenir. Les azalées et les lilas embaumaient la cour, exhibant le rose vif et le violet tendre de leurs fleurs. C’était comme une promesse de renouveau et de beauté.

Les deux hommes sourirent, l’un au terrain, l’autre à son ami.

— Charles adore son petit projet.

— J’adore mon petit projet, répéta Charles en frappant l’autre homme sur le bras. Et Malcolm est un âne.

— C’est un magnifique jardin, avouais-je.

Je l’avais dit parce que c’était vrai, et parce que je pouvais apprécier la quantité de travail qu’il avait nécessité. Si j’étais ne serait-ce qu’un peu plus à l’aise financièrement parlant, je poursuivrais encore avec assiduité l’excellent programme de botanique de l’université locale. À la place, je travaillais à temps partiel à la pépinière locale, je partageais une petite chambre dans une maison avec un connard égocentrique qui m’avait accepté pour réduire le coût de son loyer, et absolument pas parce que nous avions quelque chose en commun ou parce que nous nous entendions. Je rêvais d’avoir peut-être un jour un jardin où je pourrais faire des plantations, mais plus le temps passait, plus cette éventualité semblait irréalisable.

— Oh, super. Toi aussi ? gémit Malcolm en se tournant vers la maison. Seigneur, aide-moi, il en a trouvé un autre.

— Un autre quoi ? demandais-je, en repoussant mes lunettes sur mon nez et en tournant sur moi-même pour profiter de la vue.

— Tu apprécies vraiment ? demanda Charles.

— Tu te fous de ma gueule ? Je tuerais pour avoir un tel arrangement, mec !

Je me promenai au bord de l’herbe et m’accroupis.

— Ce sont des narcisses Romance !

Je pris délicatement en coupe une fleur blanche et rose entre mes doigts.

Charles s’accroupit à côté de moi.

— Malcolm m’en achète quelques bulbes chaque automne.

Il effleura la fleur avec un doigt.

— Alors…

Je jetai un coup d’œil derrière moi.

— Il ne déteste pas vraiment ton jardin, en fait.

Charles haussa les épaules.

— Il se contente de me faire plaisir.

Lorgnant la bague à son doigt, puis relevant les yeux sur lui, j’opinai.

— C’est adorable.

Charles se releva.

— Presque aussi romantique que de se saouler sur la plage d’un étranger après ta première fête de première année.

— Va te faire foutre.

Je me levai et me dirigeai vers la maison en claquant des pieds.

— Je suis désolé ! lança-t-il en riant en même temps. C’était mesquin.

Il me rattrapa et posa une main sur mon bras en disant :

— Vraiment. Je suis désolé.

— C’est bon, répondis-je en haussant les épaules. Quand tu dis la vérité, tu as raison.

— Donc, ta copine est repartie avec un autre mec ?

M’arrêtant sur le seuil de leur bungalow propret, je haussai les épaules.

— Bien sûr. Quelque chose comme ça.

J’étais réticent à répandre le sable et le sel dont j’étais couvert partout dans leur maison.

— Je devrais faire le tour.

— Ne sois pas stupide, déclara Malcolm en réapparaissant, portant un survêtement et des serviettes. Il y a une douche extérieure sur le belvédère. Elle va être froide. Nous n’avons pas branché le système solaire.

Il jeta un coup d’œil à Charles

— Une lubie, encore, mais tu pourras au moins te débarrasser du sel et te changer.

Il me remit les vêtements.

— Tu ne peux pas te balader en ville comme ça.

Il désigna mon unique costume, trempé, abîmé.

— Non, c’est bon.

Je poussai les articles proposés vers lui.

— J’ai été assez abruti pour m’endormir sur la plage. C’est mon problème. Pas le vôtre.

— Nous voulons simplement t’aider, intervint doucement Charles.

Je n’étais pas préparé à ce qu’il m’ébouriffe les cheveux, pas plus qu’au sable qui dégringola sur mon visage. Je reculai en bredouillant :

— Ça ira.

J’essayais d’échapper à sa main, aussi la retira-t-il.

— Es-tu intentionnellement têtu ? Ou bien est-ce naturel, chez toi ? demanda Malcolm, son amabilité occultant la légère irritation de sa voix.

— Je ne suis pas…

Charles leva les sourcils.

— Intentionnellement têtu, achevai-je sans conviction.

— Bon, fit Malcolm en me tendant les vêtements et les serviettes. Parce que crois-le ou non, tout le monde sur cette planète ne va pas te laisser debout seul au bord d’une piste de danse. Va te laver.

Je hochai la tête.

— Merci.

Tous les deux m’adressèrent un grand sourire, et je me dirigeai vers le belvédère pendant qu’ils pénétraient dans la maison.

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